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Le blog de cepheides

Le blog de cepheides

articles de vulgarisation en astronomie et sur la théorie de l'Évolution

Publié le par cepheides
Publié dans : #éthologie

 

araignées sociales au Pakistan

 


 

 
     La quantité totale de souffrance qui est vécue chaque année dans le monde naturel défie toute observation placide : pendant la seule minute où j'écris cette phrase, des milliers d'animaux sont mangés vivants; d'autres, gémissant de peur, fuient pour sauver leur vie; d'autres sont lentement dévorés de l'intérieur par des parasites; d'autres encore, de toutes espèces, par milliers, meurent de faim, de soif ou de quelque maladie. Et il doit en être ainsi. Si jamais une période d'abondance survenait, les populations augmenteraient jusqu'à ce que l'état normal de famine et de misère soit à nouveau atteint.
     
Dans un univers peuplé d'électrons et de gènes égoïstes, de forces physiques aveugles et de gènes qui se répliquent, des personnes sont meurtries, d'autres ont de la chance, sans rime ni raison, sans qu'on puisse y déceler la moindre justice. L'univers que nous observons a très exactement les caractéristiques attendues dans l'hypothèse où aucune idée n'aurait présidé à sa conception, aucun objectif, aucun mal et aucun bien, rien d'autre qu'une indifférence excluant toute compassion.
     Comme l’écrivait ce poète malheureux que fut A. Housman :
                        La Nature, qui est sans cœur et sans esprit,
                        Ne veut ni se soucier ni connaître.


            (Richard DAWKINS, Pour la Science, HS janvier 1997)


     
     La pitié, l’idéal de justice, le pardon, l’amour altruiste mais également la colère, la haine, la vengeance, la cruauté gratuite sont, parmi bien d’autres, des notions essentiellement humaines qui n’existent pas dans la Nature sauvage. A l’exception de quelques grands primates, les animaux et les plantes vivent dans un monde sans pitié où seuls comptent les réflexes conditionnés et l’apprentissage instinctuel. Les animaux ne pensent pas – au sens humain du terme – mais réagissent en fonction de leur environnement selon des schémas génétiquement programmés par des millions d’années d’évolution. Toutefois, on est aujourd’hui assez loin de la conception purement mécaniciste qui prévalait du temps de Descartes. C’est en effet un des grands mérites de l’éthologue
Konrad LORENZ (1903-1989) que d’avoir le premier mis en lumière la complexité des comportements animaux : les réponses instinctuelles de ceux-ci sont bien plus nuancées, multiples et différenciées que ne le laisserait supposer une vision superficielle qui s’en tiendrait à une simple loi du tout ou rien. Pourtant, si, au fil des millions d’années, l’évolution et la génétique ont certainement complexifié ces comportements, il n’en reste pas moins que le degré de liberté de l’animal est faible et ses possibilités d’improvisation très limitées… Il faut dire que, au sein de la Nature, il n’existe qu’une seule règle fondamentale : survivre, c’est à dire manger ou être mangé comme le faisait si bien remarquer, il y a déjà longtemps, le journaliste-écrivain Jack LONDON.
  
     De la même façon, les plantes ne sont pas des objets passifs comme les voient le plus souvent nos yeux d’humains mais des êtres qui luttent également de manière acharnée pour survivre avec les armes que leur procure leur patrimoine génétique. Là aussi, la compétition est féroce et seul le plus apte est amené à se développer.
 
     Cependant, dans les films animaliers – et je n’évoque pas, bien sûr, les « films d’animaux » où ces derniers ne sont que des hommes en peluche – les commentaires donnent l’impression que la Nature est un immense théâtre où s’agitent des personnages certes plus ou moins sympathiques mais guidés par des sentiments qui, souvent, rappellent ceux des hommes. Il s’agit là d’une illusion (ou d’une erreur plus ou moins consciente) que l’on appelle
anthropomorphisme. Ailleurs, de doux esprits nous parlent d’écosystèmes « en harmonie » alors que ceux-ci ne sont qu’en équilibre et que la mort y est omniprésente. D’autres encore évoquent la « mère Nature » si bienveillante pour ses petits… Nous réagissons ainsi parce que cela nous ferait de la peine de reconnaître que la Nature dans laquelle nous vivons (de moins en moins, il est vrai) est cruelle et, souvent, sanguinaire. Pourtant, la Nature n’est pas cruelle : elle est seulement indifférente.

     Afin d’illustrer cette notion souvent méconnue (quand elle n’est pas combattue), j’ai choisi de m’attarder sur deux exemples emblématiques situés aux extrêmes de la vie animale, en insistant toutefois sur le fait que ces exemples, particulièrement significatifs, ne font en réalité que refléter le sort commun de notre monde.
 
 
 

la guêpe fouisseuse

 
 
     Jean-Henri FABRE (1823-1915) fut un scientifique français de grand talent, injustement méconnu en France (alors qu’il est célèbre en Russie, aux USA et presque adulé au Japon). Il s’intéressa tout particulièrement au monde des insectes et, à ce titre, il peut être perçu comme un précurseur de l’éthologie.
 
       Dans son oeuvre majeure « souvenirs entomologiques », il rapporte son étonnement face au comportement d’un animal bien connu de nos campagnes : la
 guêpe fouisseuse (sphex). La femelle de cette espèce capture en effet des insectes comme les coléoptères, les abeilles, etc., afin de les transporter, après les avoir paralysés, jusqu’à son nid, le plus souvent un trou dans le sol, dans de la boue ou dans quelque anfractuosité naturelle. Elle pond de un à trois œufs sur sa proie qui servira de garde-manger aux larves jusqu’à la formation des cocons. Dans certaines espèces, la guêpe possède plusieurs nids dans lequel se trouve un seul œuf, nids qu’elle réapprovisionne plusieurs fois en nourriture, ouvrant et refermant soigneusement sa cachette à chaque fois. FABRE explique que, avant de pondre son œuf dans, par exemple, une chenille, la guêpe passe un long moment afin d’introduire méticuleusement son aiguillon dans chacun des ganglions du système nerveux de sa proie de façon à la paralyser sans la tuer ; le but est évident : elle s’assure que la chair restera fraîche pour ses larves présentes et à venir. On ne sait toujours pas aujourd’hui si la guêpe anesthésie totalement la chenille ou si le venin, à la manière du curare, ne sert qu’à immobiliser sa victime. Cette deuxième hypothèse, toutefois, semble la plus probable parce que, de cette façon, la proie reste le plus près possible de son état naturel. En pareil cas, la chenille aura conscience d’être dévorée de l’intérieur sans avoir aucun moyen de s’y opposer. L’acte semble d’une cruauté absolue mais c’est raisonner selon notre propre code moral : il n’y a pas ici de cruauté mais simplement de l’indifférence. La guêpe ne poursuit qu’un dessein : assurer le développement et le bien-être de sa progéniture et tant pis pour l’individu qui se trouve alors sur sa route.
 
     Cet exemple n’est pas isolé : on projette parfois à la télévision des reportages sur la même façon d’agir d’une
guêpe géante d’Amazonie qui, campée devant le nid d’une mygale, provoque suffisamment de vibrations pour faire sortir l’araignée. Le combat qui suit se termine souvent par la paralysie de la mygale qui, ici aussi, sera anesthésiée vivante pour servir de repas à répétition aux larves de la guêpe…
 
     Le monde des insectes est, on le voit, particulièrement féroce (il suffit de penser à une simple toile d’araignée ou aux combats sans merci des colonies d’insectes sociaux) et ce monde reflète assez bien la compétition engagée entre les différents individus d’un écosystème.

 
 
 
le lion et la gazelle
 
 
     Chez les mammifères, la situation n’est en définitive pas différente. Prenons l’exemple du lion, le roi des animaux, celui qui, dans la savane africaine, est au sommet de l’échelle alimentaire. Peut-on dire de lui qu’il (ou elle car c’est le plus souvent la lionne qui chasse) est cruel lorsque, après avoir pris par surprise une gazelle, il la dévore vivante, guetté par l’ensemble de sa tribu qui attend qu’il soit rassasié pour s’approcher. Il prend son temps, le lion ; il grogne, fait mine de vouloir attaquer un ou deux lionceaux trop entreprenants, secoue sa proie pour l’immobiliser un peu plus, contemple longuement son entourage pour faire valoir sa suprématie avant que de poursuivre son repas. Pendant tout ce temps, la gazelle agonise dans d’atroces souffrances. Si la Nature était concernée, qu’elle soit un tant soit peu bienveillante ou généreuse, elle aurait inventé un mécanisme pour abréger son supplice : un mécanisme qui, sous le coup de l’agression, aurait provoqué l’arrêt brutal de son cœur ou bien la sécrétion d’un anesthésique quelconque atténuant sa souffrance. Il n’existe rien de tel : le gène qui aurait peut-être permis cela n’a jamais été sélectionné par l’évolution parce que ce qui compte pour une gazelle, c’est de courir le plus vite possible et d’être toujours à l’écoute. Pas de ne pas souffrir. On peut même se demander si cette souffrance n’a pas été sélectionnée parce que, dans le fond, elle rend les gazelles encore plus sensibles et donc d’autant plus méfiantes et peureuses…
 
     La Nature n’a que faire des sentiments humains : on n’y retrouve ni bonté, ni pitié, ni même ce qui ressemblerait à un début de remords. Le
lion – toujours lui mais c’est également vrai pour d’autres animaux – ne supporte pas les enfants qui ne sont pas de lui. Ce que son instinct lui dicte, c’est de transmettre ses gènes, pas l’ADN d’un autre. C’est la raison pour laquelle, après avoir chassé le mâle ayant fécondé la lionne, il s’intéresse aux lionceaux qui gambadent près d’elle et qui lui sont étrangers. Il s’approche et fait mine de jouer avec eux. Quelques coups de patte pour obtenir la réaction du lionceau qui se prend au jeu. Mais le lion devient violent et le petit ne comprend pas et hésite. Alors, d’un seul coup, l’adulte lui brise la nuque. Il en fera de même avec tous les rejetons à ses yeux illégitimes, sous le regard de la lionne qui ne bouge pas. Ce qui compte, ce qui est inscrit dans son ADN, c’est que c’est sa propre descendance qu’il doit assurer. Celle du plus fort. Celle de celui qui a conquis la lionne. C’est cela la sélection naturelle. A nos yeux, cela paraît infiniment barbare mais c’est ainsi et l’a toujours été. Nature indifférente, vous disais-je.
 
 
 
présence de l'Homme
 

     Les hommes ont du mal à comprendre cette absence totale de compassion. Il leur est difficile de ne voir dans la Nature que la justification du vieil adage « la fin justifie le moyen ». Cela leur est pénible parce que leur intellect plus développé leur permet d’afficher un certain recul face à des situations conflictuelles, de défendre des attitudes morales qui échappent à la simple mécanique de la violence et du résultat immédiat. Je sais ce que certains vont me répondre : que je dresse un tableau trop noir de la Nature sauvage, qu’il existe également chez l’animal des comportements altruistes… J’ai pourtant bien peur qu’il s’agisse là encore d’une illusion : chaque fois que les scientifiques se sont penchés sur ces comportements, d’ailleurs plutôt exceptionnels, ils ont pu mettre en évidence la recherche d’un bénéfice secondaire pour celui qui en est l’auteur. Sans, bien sûr, que celui-ci en soit lui-même conscient… J'ai d'ailleurs consacré un article à ce sujet (voir insectes sociaux et comportements altruistes).
 
     L’Homme, selon la définition bien connue, est un « animal moral ». Il est même le seul à vrai dire qui soit ainsi dans la Nature, à
l’exception de certains grands primates comme les bonobos ou les chimpanzés (et ce n’est certainement pas un hasard si ces derniers, comme je l’expliquais dans un sujet précédent : le dernier ancêtre commun, sont nos plus proches parents). La civilisation, une certaine culture sont les conséquences de notre condition particulière. Mais l’homme est également encore proche de la vie naturelle et, à ce titre, il convient, me semble-t-il, de se méfier. L’organisation sociale qui est la nôtre et qui nous permet précisément de ne pas nous comporter en « animal sauvage » est fragile. Notre civilisation est fragile : il faut finalement peu de choses, on le sait bien, pour tout remettre en question. Au fond, entre nous et les animaux, il n’existe qu’une différence de degré, pas de nature. Un sujet à bien méditer.
 
 

Images :
 
photos 2 et 3 : guêpes fouisseuses (sources : loscoat.canalblog.com/)
photo 3 :
repas d'un lion (sources : www.rion-vanwetter.be)

photo 4 : Le portrait d'Edward James (1937) par Magritte (sources : fondation Magritte, Belgique)

(Pour lire les légendes des illustrations, passer le pointeur de la souris dessus)

 

 

 

Mots-clés : Richard Dawkins - Konrad Lorenz - Jean-Henri Fabre - guêpe fouisseuse - guêpe géante d'Amazonie - mygale - sélection naturelle - comportements altruistes

(les mots en blanc renvoient à des sites d'informations complémentaires)

 

 

 

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Mise à jour : 24 février 2023

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Publié le par cepheides
Publié dans : #paléontologie, #Évolution






     En 1860, à l'Association britannique pour l'Avancement des Sciences, le scientifique Thomas Henry Huxley (par ailleurs grand-père de l’écrivain Aldous Huxley), fervent défenseur de la théorie darwinienne de l’évolution, se vit brutalement apostropher par l’évêque d’Oxford, Samuel Wilberforce : « Est-ce par votre grand-père ou votre grand-mère que vous descendez du singe ? » lui demanda l’ecclésiastique, ce à quoi il répondit : « Je préférerais plutôt descendre du singe que d’un homme cultivé utilisant son éloquence et sa culture au profit du mensonge et de la dérision". Le débat qui faisait rage autour de la publication de Darwin tournait à la foire d’empoigne… La réponse à cette question est pourtant simple : l’homme ne « descend » pas du singe, il est LUI-MEME un singe ! Ou pour être plus exact, il fait partie des grands singes. Ce concept ayant encore aujourd’hui bien du mal à se concevoir pour certains, il n’est pas inutile de revenir sur l’origine de l’Homme et essayer de comprendre quelle est sa filiation.

 
 

 

Quelques définitions sont au préalable les bienvenues

 

 
     L’homme fait partie des primates. Inventé par Linné en 1758 (soit 100 ans avant les travaux de Darwin), le terme contient en lui-même une notion de classification puisqu’il provient du latin primus, « à la première place » d’où une « supériorité » supposée et c’est malheureusement ce terme que l’histoire a conservé. (Reconnaissons toutefois à Linné l’idée d’avoir le premier réintroduit l’homme dans le règne animal…). Les grands singes font donc partie des primates et forment une super famille dite des hominoïdés qui se sépare elle-même en deux lignées :
 
* la première regroupe les hominidés qui comprennent les gorilles, les chimpanzés, les bonobos… et l’homme tandis que les pongidés sont essentiellement représentés par l’orang-outang ;
 
* la deuxième lignée quant à elle ne recouvre que les
hylobatidés représentés par les gibbons.
 
     L’homme est donc un « grand singe » avec néanmoins quelques particularités qui ont fait sa bonne fortune et lui ont permis de régner sur la planète commune. Mais d’où viennent-ils donc ces grands singes ?

 
 
 
Origine des primates
 
 
    On se souvient que, lors de la disparition des dinosaures (voir sujet : la disparition des grands sauriens), il existait déjà des mammifères et que ces derniers, compte-tenu de leur relative faiblesse par rapport aux sauriens géants, se contentaient de vivre dans une ombre propice, probablement la nuit. La disparition de leurs prédateurs reptiliens permettra à ces mammifères de tenter – et réussir – une certaine conquête du monde (C’est du moins la théorie qui paraît avoir aujourd’hui le plus d’adeptes parmi les scientifiques mais elle est encore discutée). On pense que, au sein de cette nouvelle famille d’animaux, les primates se sont différenciés à peu près à l’époque de la disparition des grands sauriens puisque le plus ancien d’entre eux, Altiatlasius, date d’environ 60 millions d’années si l’on en croit son fossile retrouvé en Afrique du nord… qui se résume en réalité à quelques dents. Suffisant néanmoins pour que les paléontologues puissent estimer son poids à un peu plus de cent grammes ce qui correspond assez bien à la théorie que nous évoquions plus haut. Rapidement apparaissent de multiples variétés de primates dont la plupart sont arboricoles, se nourrissant principalement de fruits et de baies sauvages (ce qui leur permet d’ailleurs d’acquérir par avantages évolutifs successifs la vision des couleurs). Les millions d’années suivants voient ces primates se diversifier encore et surtout coloniser de nouveaux territoires, Asie et Europe notamment, jusqu’à ce qu’une glaciation, vers – 34 millions d’années, décime les représentants européens, les asiatiques (et les africains) seuls continuant leur développement.
 
    En fait, la grande époque des mammifères – et donc des primates – se situe il y a environ 15 millions d’années, une époque où le climat commence à se réchauffer. On trouve alors des singes hominoïdes, des cercopithèques, etc., en Afrique, bien sûr, mais également un peu partout ailleurs. C’est probablement à partir de cette date que les grands singes font leur apparition, une de leurs principales caractéristiques étant de ne plus posséder de queue préhensible ce qui traduit la perte de leur statut arboricole exclusif. Le fossile le plus connu de ces temps anciens est
Proconsul, une famille de grands singes dont l’absence de queue déjà signalée (arboricole, il devait se déplacer en marchant sur les branches sans se suspendre comme précédemment), le volume du cerveau (bien supérieur par exemple à celui du gibbon) et la longueur des bras en font les premiers représentants connus des hominoïdés. C’est il y a une dizaine de millions d’années que la séparation entre la lignée qui donnera l’homme et les autres grands singes africains a eu lieu.

 
 
 
 
 

Origine de l'homme

 
 
    Outre les fossiles, le moyen d’établir une relation entre les différentes espèces consiste à agencer ce que l’on appelle un arbre phylogénétique (voir glossaire) grâce à l’anthropologie moléculaire. En effet, cette discipline relativement récente permet la comparaison du matériel génétique des espèces étudiées et détermine ainsi leur plus ou moins grande proximité. Que nous dit-elle ?
Avant tout que les pongidés (orang-outang), les gorillinés (gorille) et les panidés (chimpanzé, bonobo) possèdent tous 48 chromosomes alors que l’homme, comme on sait, n’en possède que 46. Des travaux récents (2006) semblent montrer que cette différence est due à la fusion de deux paires de chromosomes {2p, 2q} de l'ancêtre commun aux humains, aux chimpanzés et aux bonobos en la paire de chromosomes {2} du genre Homo, le genre Pan ayant conservé les deux paires de chromosomes {2p, 2q} de l'ancêtre commun et donc 48 chromosomes. C’est par conséquent à partir de cette séparation d’avec les panidés que la lignée qui conduit à l’homme s’est individualisée, lignée regroupant divers australopithèques (voir glossaire) et le genre Homo. Toutes les espèces ayant constitué ce groupe sont aujourd’hui éteintes à l’exception, notable, de Homo sapiens, l’homme. Rappelons que la dernière espèce d’Homo non sapiens était Homo neandertalensis, l’homme de Néandertal, disparu il y a seulement 30 000 ans (et ayant donc vécu en même temps que Homo sapiens) comme le rappelle un sujet déjà publié (Néandertal et Sapiens, une quête de la spiritualité). Il est dès lors tentant de chercher à découvrir quel put être ce dernier ancêtre commun à tous les Homo.
 
 
 
 
        
Le dernier ancêtre commun
 
 
     Jusqu’à présent, il n’a pas été découvert. De nombreux fossiles ont été proposés au fil des années par les paléontologues mais, au bout du compte, aucun n’a été retenu. En réalité, il n’est pas certain qu’il ait existé un « ancêtre » parfaitement individualisé, l’apparition des différents représentants de la lignée ayant été probablement progressive (voir l’annexe). Essayons quand même de deviner ce qu’il a été (ou aurait pu être) en reprenant les différentes notions que nous possédons sur ces lointains ancêtres.
 
     Ce que l’on sait, c’est que les premiers représentants du groupe ayant conduit à l’homme après la séparation (les paléontologues utilisent volontiers le terme de « bifurcation ») d’avec les panidés possédaient 46 chromosomes, on l’a déjà dit. Pour le reste, il était certainement de petite taille (comme les australopithèques et les Homo qui lui ont succédé), peut-être 1 mètre de hauteur, tandis que son cerveau était relativement peu volumineux (300 à 400 cc) par comparaison avec l’homme moderne mais c’était déjà beaucoup pour l’époque. Il était certainement arboricole mais avec peut-être déjà une pratique partielle de la bipédie. Omnivore, il vivait probablement en communauté avec ses semblables. Il devait en outre être capable d’utiliser certains outils rudimentaires puisque c’est déjà le cas des grands singes comme le gorille ou le chimpanzé ce qui l’a peut-être amené à être capable d’imiter et donc d’apprendre. Plus spéculative est la notion qu’il ait possédé une conscience de lui-même mais, après tout, pourquoi pas ? En revanche, il semble peu vraisemblable qu’il ait disposé d’une réelle dimension culturelle puisque celle-ci n’a été retrouvée bien plus tard que chez Néandertal et Sapiens (mais encore faut-il s’entendre sur ce que l’on appelle culture).
 
     Le dernier ancêtre commun dont je viens de dresser le portrait n’a probablement jamais existé : il s’agit plutôt de l’apparence de certains de nos ancêtres préhumains. Il n’empêche : qu’il ait existé un vrai « ancêtre » dont les caractéristiques étaient suffisamment humaines pour nous être directement relié (ce qui est peu probable) ou que ce soit comme cela est plus vraisemblable toute une armée d’espèces intermédiaires ayant acquis très progressivement les caractères qui sont les nôtres aujourd’hui, la leçon est la même : nous venons de loin, de très loin. Ceux qui nous ont précédé sont nombreux ; ils sont parfois proches de nous, parfois très différents au point que certains de nos contemporains seraient choqués de les rencontrer s’ils existaient encore. Ces êtres ont vécu, souffert, lutté pour que nous soyons là aujourd’hui sans, bien entendu, l’avoir jamais su ou voulu. C’est un héritage dont nous devons avoir conscience.
  
     La lignée des grands singes est en voie d’extinction : les derniers représentants de ces espèces qui dominèrent en partie le monde d’alors risquent de prochainement disparaître définitivement, à l’exception d’Homo sapiens (et encore cela est-il certain ? mais il s’agit là, c’est vrai, d’une autre histoire). Cela devrait nous prémunir contre l’arrogance des dominants d’aujourd’hui et, bien au contraire, nous pousser à une certaine humilité.

 
 
 
 
 


Images

2. arbre phylogénétique des primates (source : laplume.info)
3. néandertal et sapiens (source : cosmosmagazine.com)
4. Lucy, australopithèque afarensis (source : topsfieldschools.org)
 
(Pour lire les légendes des illustrations, passer le pointeur de la souris dessus)

 

Glossaire (sources : wikipedia France)

* arbre phylogénétique : un arbre phylogénétique est un arbre schématique qui montre les relations de parentés entre des entités supposées avoir un ancêtre commun. Chacun des nœuds de l'arbre représente l'ancêtre commun de ses descendants ; le nom qu'il porte est celui du clade (en taxinomie récente, un clade, du grec clados qui signifie « branche », est une partie d'un cladogramme, une branche contenant un ancêtre et tous ses descendants) formé des groupes frères qui lui appartiennent, mais non celui de l'ancêtre qui reste impossible à déterminer. L'arbre peut être enraciné ou pas, selon qu'on est parvenu à identifier l'ancêtre commun à toutes les feuilles.

*
australopithèques : hominidés vivant il y a 4 à 1 millions d'années avant notre ère en Afrique. Ils mesuraient environ 1 m à 1,50 m. Leur cerveau étaient assez modeste 400 à 500 cm3, d'allure trapue, la face massive et prognathe. C’est à un de ces groupes d’australopithèques qu’appartient la fameuse Lucy (australopithèque afarensis) dont on sait donc aujourd’hui qu’elle ne peut pas avoir été un ancêtre direct de l’homme (voir note suivante).

*
Lucy : la découverte de Lucy fut très importante pour l’étude des australopithèques : il s’agit du premier fossile relativement complet qui ait été découvert pour une période aussi ancienne. Lucy compte en effet les fragments de 52 ossements dont une mandibule, des éléments du crâne mais surtout des éléments postcrâniens dont une partie du bassin et du fémur. Ces derniers éléments se sont révélés extrêmement utiles pour reconstituer la locomotion de l’espèce Australopithecus afarensis. Si Lucy était incontestablement apte à la locomotion bipède, comme l’indiquent son port de tête, la courbure de sa colonne vertébrale, la forme de son bassin et de son fémur, elle devait être encore partiellement arboricole : pour preuve, ses membres supérieurs étaient un peu plus longs que ses membres inférieurs, ses phalanges étaient plates et courbées et l’articulation de son genou offrait une grande amplitude de rotation. Sa bipédie n’est donc pas exclusive et sa structure corporelle a été qualifiée de « bilocomotrice » puisqu’elle allie deux types de locomotion : une forme de bipédie et une aptitude au grimper.
    Lucy est probablement un sujet féminin si l’on en juge par sa petite stature et les caractéristiques de son sacrum et de son bassin. Elle devait mesurer entre 1,10 m et 1,20 m, et peser au maximum 25 kg. Elle est morte à environ 20 ans et le fait que ses ossements n’aient pas été dispersés par un charognard indique un enfouissement rapide, peut-être à la suite d’une noyade.
    Répertoriée sous le code AL 288-1 , Lucy a été surnommée ainsi par ses découvreurs (Y. Coppens, D. Johanson et M. Taïeb) car ces derniers écoutaient la chanson des Beatles « Lucy in the Sky with Diamonds » le soir sous la tente, en répertoriant les ossements qu'ils avaient découverts.




Annexe : une transformation progressive jusqu’à l’homme d’aujourd’hui

(les lignes qui suivent sont tirées de l’excellent livre de Lee M. Silver : « Challenging Nature » paru en 2006 chez HarperCollins, New York, USA. L’auteur est professeur de biologie moléculaire à l’université de Princeton. Comme il n’existe pas, à ma connaissance, d'édition française de cet ouvrage, je me suis efforcé de présenter une traduction la plus fidèle possible au texte d’origine, texte que je tiens évidemment à la disposition de toute personne qui en ferait la demande).

« De la même façon qu’il n’existe pas de séparation réelle entre les différentes couleurs composant le spectre lumineux, il n’existe pas de réelle séparation entre l’espèce humaine et ses ancêtres non humains. Il n’y a jamais eu de premier homme ou de première génération d’hommes. Au lieu de cela, selon les propres mots de Darwin, « un nombre incalculable de formes intermédiaires doit avoir existé ». Les scientifiques aujourd’hui ont une vision bien plus précise d’où et quand nos ancêtres simiesques ont vécu. Il y a cinq millions d’années, une simple femelle de grand singe non humain a été la mère commune d’une descendance ayant conduit aux trois espèces encore vivantes de nos jours : les hommes, les chimpanzés et les bonobos. Les enfants de cette mère originelle se sont unis avec d’autres grands singes de leur propre espèce qui ont eu des enfants qui ont eu des enfants et ainsi de suite durant plusieurs centaines de milliers de générations... À aucun moment de cette évolution, les enfants ne sont apparus ou se sont comportés différemment de leurs parents. Pourtant, au départ, il y avait de grands singes non humains et, à la fin de la lignée, des hommes. Les hommes ne sont apparus à aucun moment particulier au cours du temps. Ce sont plutôt les organismes non humains qui ont progressivement évolué par de légères modifications partiellement humaines jusqu’à lentement aboutir à l’espèce que nous appelons Homo sapiens.

    Nous n’avons jamais rencontré d’êtres partiellement humains parce que, au cours des trois derniers millions d’années, nos ancêtres ont éliminé, directement ou non, tous les autres êtres partiellement humains qui ne leur ressemblaient pas réellement. Des douzaines d’espèces partiellement humaines ont erré dans les différentes parties de l’Europe, de l’Asie et de l’Afrique à des moments différents. Aussi récemment qu’il y a 30 000 ans, dans les forêts européennes, des membres de notre propre espèce sont entrés en compétition pour la nourriture et le gite avec Homo neandertalensis (plus familièrement appelé homme de Néandertal). Et il y a tout juste 18 000 ans des descendants d’Homo erectus vivaient encore sur l’île indonésienne de Florès. Nos ancêtres sont presque certainement responsables de l’extinction de ces deux espèces, comme, de la même manière, de celle des espèces partiellement humaines antérieures, y compris Homo abilis et Homo ergaster. Le résultat c’est que, aujourd’hui, nos parents vivants les plus proches sont les chimpanzés et les bonobos. »

 

 

 

Mots-clés : Linné - altiatlasius - proconsul - anthropologie moléculaire - arbre phylogénétique - australopithèque - Lucy - homo sapiens - homo neandertalensis - chimpanzé - bonobo - homme de Florès

 (les mots en blanc renvoient à des sites d'informations complémentaires)

 

 

 

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